Cinépillage
American Psycho

American psycho

Quel genre de lecteur voudrait lire un livre dont le héros est un yuppie? Le milieu de la finance n’est il pas avant tout le règne de la médiocrité, où l’on serait essentiellement guidé par l’argent et l’attrait du pouvoir. Ce monde de vide est éloigné du vide de moins que zéro, et on pourrait se dire qu’il est artificiel et antédiluvien, mais au lieu de ça on trouve des vrais gens aliénés et pris dans des noeuds bien actuels.

Le narrateur pourrait être une caricature d’un père qui se prendrait pour un modèle et qui assènerait des leçon de bonnes manières par pédanterie et pour gonfler son propre égo. Il croit voir dans sa réussite et son apparence les qualités qui lui permettent de dominer l’autre. Il se permet de ne pas être celui qui est dans le besoin et de représenter pour l’autre la personne à redouter, jusqu’à représenter un tueur possible. Quand l’autre meurt, la représentation est dirigée dans la construction d’une morale de son surmoi, que le lecteur peut accueillir au passage.

On aimerait plus s’identifier au second rôle sans personnalité qu’à ce je détestable, mais l’aveuglement du second rôle le place comme victime consentante, qui par sa naïveté, sa croyance en le système, se veut dominée, se veut mériter une punition, dans le rapport dominé-dominant d’un enfant par rapport au parent. Cela va jusque dans le sexe, où le dominé se croit devoir concéder au plus beau, plus puissant, plus riche que lui pour y accéder, ou alors à devoir ne donner que son sexe pour avoir un peu d’argent. Il y a dans cet échange quelque chose qui semble trivial, dont le refus pourrait être interrogé.

Le vide Au milieu de toute la superficialité, Le narrateur se sauve en laissant une place à son animalité, en mettant au premier plan ses besoins animaux. Il tue l’autre quand l’autre ne lui apprend rien, c’est en dominant l’autre, en l’amenant à assouvir ses besoins d’ego, et sexuels, qu’il apprend sur le chemin à faire et à être dans le monde. Le narrateur au final n’apprend qu’à dominer et à atteindre ses buts. Lorsque l’autre est devenu passif et devient vulnérable, il ne fait que suivre sa nature, mais dans l’impasse, il cherche à aller jusqu’au bout du vide qui se présente à lui. Peut être que son assistante ne se sauve que parce qu’elle est tellement bloquée dans sa tête, et à côté de la plaque, qu’il ne peut rien en tirer. Il y a quelque chose de gay dans le cynisme à aller vers une femme tout en ne la considérant pas, tout en ne dévoilant que sa part animale, sans aucun but, avec la simple capacité à rendre compte d’un rapport de force. Peut être que le fait de ne pas chercher plus que les besoins animaux permet de distinguer l’essentiel, de partir du corps, et de chercher où sont les blocages, quand son action est sublimée ou entravée.

Une société floue Le monde qui entoure le narrateur a délégué aux signes, aux règles des apparences et à une société qui a investi dans le marchandage de ces signes sa capacité à juger. Le narrateur ne fait qu’utiliser cet investissement qui coincide avec son corps et ses besoins primitifs pour embrasser l’absence d’humanité qui en découle. Le mal pourrait un indice mais le narrateur ne parvient pas à le prendre en compte. Peut être évite t il la question morale car il doute de sa valeur. Rendre le mal visible laisse une chance de sortir de sa propre hypocrisie, à l’opposé d’une complaisance de gens de gauche qui s’emprisonne dans les mots et dans une réflexion inoffensive quitte à participer à une société qu’ils critiquent. C’est le lecteur qui est invité s’assurer qu’il est encore capable de juger par lui même. Le sens supposé des actions, ou l’intention sont moins intéressants que le sens qui se dévoile. Jean semble être la seule à se questionner à chercher l’intention sans pouvoir la comprendre et ne peut que s’étonner avec curiosité, comme dans une comédie. Le désinvestissement du sens pour quelque chose de dévitalisé est comme puni et exploité par le narrateur qui ne fait que décevoir le monde à ne pas porter l’intention que les autres aimeraient que la société porte, pour déléguer leur conscience. Le narrateur se retrouve seul et croit alors que les autres jouent et lui cachent la vraie vie, ne lui laissant que des bribes. Il est alors condamné à être coupé de l’autre qui lui semble trop passif. Le mal semble pourtant être une chose claire mais tous semblent endormis. Dans l’action il y a une recherche qui fait fi de l’interprétation des autres et se concentre sur une narration de soi, qui peut n’exister qu’en dehors de la projection des autres, une idée naïve du mal qui révèlerait l’ombre de la civilisation, que tout son monde s’évertue à ne pas voir, l’absurdité même du personnage civilisé qui a tu l’animal en lui.

Peut être le narrateur se venge t il de sa mère de l’avoir sevré pour le faire entrer dans le monde du père, vide de sens, de lui donner un accès qu’à un succédanné d’amour avec la condition qu’il ait un succédanné de vie. Sa vie futile, d’enfant qui se relève après avoir fait une bêtise, à qui on pardonne le crime sans en comprendre la raison, juste pour son air innocent, qui ne fait jusque là que décomposer l’humain comme dans une analyse distante de la vie, et qui fait perdurer son masque, devient parfois une camisole où son surmoi n’a plus d’espace pour évoluer. D’un certain côté il trouve une jouissance dans ce qui lui est permis qui le sécurise dans la réalité du rapport de force.

L’impuissance du lecteur

L’auteur semble placer le lecteur face aux situations de la vie où il se coupe du réel. Face à un trader, le lecteur pourrait se placer en position inférieure, par ignorance. Il lui donne alors un accès en déconstruisant le personnage, en détruisant l’aura de la persona des autres. À travers le personnage, il place aussi le lecteur devant des situations que peut être évite t il, par exemple discuter avec des hommes ou des femmes dont il n’aurait pas accès. Lorsqu’une chose l’énerve, peut être dans l’aspect moral, dans la réduction de l’humain chez l’autre, le lecteur est placé devant son inaction. Si celui capable, qui n’est pas dans le déni, déverse librement sa haine, sa colère sur l’autre, où est passée celle du lecteur?

L’auteur semble dénoncer le côté mortifère de la vision du lecteur qui condamnerait le monde par les apparences pour s’en soustraire et se créer un monde idéal illusoire sans collision avec le monde réel. Probablement l’auteur a dû faire face à ce conflit intérieur, où l’innocence par rapport à lui même ne mène à rien. Les illusions héritées de son éducation ont être confrontées à la réalité différente de son corps, avec une proximité de la violence de ces illusions devenant une menace pour l’autre. Même dans les scènes de sexe illustre un questionnement sur ce que ne se permet pas le lecteur.

Le lecteur peut se confronter à ses désirs, à la médiocrité de ses désirs, à sa vulnérabilité quand l’attention se porte sur lui même malgré la présence d’une femme qui ne l’aide pas à canaliser ses désirs mais le laisse avec ses pulsions. D’un certain côté le narrateur est vulnérable car il ne pense à rien et il est d’autant plus vulnérable qu’il est submergé par son ombre qui finit par le contrôler complètement. Il y a une invitation à reconnaître son ombre, et ne pas se laisser succomber, ne pas s’identifier à l’ombre qui n’est pas soi. Un risque est de se conformer à une image d’une libéralisation sexuelle, et de chercher à correspondre à cette image comme s’il y avait quelque chose d’adulte à ça, ce qui effacerait la vulnérabilité recherchée. C’est un problème de la pornographie de chercher le pire car il rate toujours à chercher l’ombre, mais crée un conformisme innatteignable.

Le lecteur peut lire de façon inversée le livre si l’ombre le submerge, s’il s’identifie trop à son ombre. La persona, la superficialité est l’ombre de l’ombre et il y a un espoir à reconstruire cette persona.

On ne sort peut être pas de la médiocrité

La répression des pulsions de la journée a des répercussions sur les individus qui déchargent la violence dans les relations humaines de façon souvent symbolique. Le narrateur quand il se libère de ses obsessions, a l’impression de se dépersonnaliser, puis revient dans la société comme s’il retrouvait qui il était. Alors qu’un autre chemin serait une action mais qui ne suit pas ce contrôle pulsionnel, mais placerait le réel dans le récit pour ne pas s’y soumettre complètement.

Malgré la société, il reste des personnes qui acceptent l’ignorance, et croient encore en un récit, Jean par exemple qui reste interprète mal chaque situation avec amusement sans opportunisme car plus bas dans l’échelle sociale, Carruthers qui ne voit pas les bons signes. L’auteur trouve un regard à demi intéressé, à demi ennuyé, avec une tendresse cachée, sur les petits détails, les micros événements qui tracent une forme de tragique, qui fait la vie des idiots, les personnes aliénées, des insensibles, qui perdent le lien avec le sens de leur vie. Il laisse la satire aller jusqu’au bout, la caricature de l’instant présent et de l’action dans une personne qui incarne tout ce qui lui est possible et accessible, par rapport à son intérieur et son extérieur, la misère de n’avoir accès qu’au mensonge, aux prostituées, à des collègues superficiels.

Dans la répétition de l’erreur, à travers Jean qui aime par erreur, en restant en dehors d’un sens voulu et qui espère voir sans définir ce qui est, on décèle une foi en une forme d’ouverture, malgré l’absence de mérite, à travers une espérance, au delà de la vérité ou de la justice, celle de continuer de vivre, d’avoir des interactions humaines pour peut être se faire embrouiller et d’entrer dans un jeu différent, d’essayer d’agir et de juger sans s’entraver, sans faire appel à une autorité dévitalisée, de ne pas se voir comme une île et se rabaisser au trivial car c’est dans du trivial que vient l’énergie, en restant au contact, même médiocre et de faire avec. Il y a aussi ce blanc entre les épisodes, qui peuvent être une préparation à ce qui arrive dans le monde, qui peut être une parenthèse du possible.

Il y a comme une invitation à affronter le décalage entre la persona et son intérieur, à s’accepter sans amour, sans bonne intention, à assumer sa médiocrité. L’important est de partir de soi, même d’un soi médiocre, et pour les autres partir des autres et reconnaître qu’il ne se passera rien dans la journée, dans le cadre, si on se limite à la persona, qui permet à l’autre de se rassurer, mais cela en niant tout risque de rencontre avec l’autre. Il y a un exercice à rester ouvert malgré l’ombre en soi qui se veut invasive, un autre à ne pas se laisser brider par sa propre persona et se permettre de se voir comme un criminel, un autre aussi à ne pas prendre une hauteur qui déconnecte de la vie dans lequel les mythes ne seraient pas vivants.

La double contrainte

Le meurtre dans l’intime est l’expression d’une impossibilité. Le narrateur n’a évolué pour arriver à cet endroit que dans l’insconscience d’un respect d’une morale des apparences héritées de ses parents et de son milieu, dans le but de se conformer. Il ne peut entrer en relation sans avoir le regard parental qui le prive de relations sincères entrer en conflit d’une vraie rencontre. Ses relations ne le sauvent pas car suivent le schéma parental qu’il n’adhère pas lui même.

La peur Les relations du narrateur sont basées sur la peur, la peur du regard des autres, de se faire pointer du doigt, et ne pas être comme un autre. Peut être est ce une peur primaire qui s’est développée pour créer un système où la frontière est ténue entre un monde de confiance et un monde de violence. Le visage dévoilé dans les relations intimes est celui d’une logique du un contre tous. Ce délire rappelle la peur naturelle qu’il y a à aller vers l’autre, peur légitime et qu’il faut affronter, celle d’une indifférence presque salvatrice de l’autre, la peur devant être plus du côté de l’autre, que du narrateur qui se connait. Peut être tue-t-il après l’acte quand il comprend qu’il ne peut donner plus et qu’il sait que malgré ses efforts il n’est rien pour l’autre. D’un certain côté, la victime essaye de se mettre dans un rôle et n’affronte pas ses peurs, ses vulnérabilités. Le tueur lui rappelle que l’on peut demander à ne pas être seul à affronter son ombre, que le rôle que joue l’autre l’empêche d’être elle même et qu’aller jusqu’à l’intime ainsi, sans penser à sa propre mortalité, à sa propre histoire, est comme se permettre d’aller vers la mort sans se relier à soi même. Sa morale un peu sévère est de tuer ceux qui prennent un modèle extérieur pour ne pas penser à qui ils peuvent être.